Avant de prendre ma plume, je me suis agenouillée devant la statue de Marie: celle qui a donné à ma famille tant de preuves des maternelles préférences de la Reine du ciel ; je l'ai suppliée de guider ma main, afin de ne pas tracer une seule ligne qui ne lui soit agréable............

Comme le dit saint Paul:" Dieu a pitié de qui il veut, et il fait miséricorde à qui il veut faire miséricorde. Ce n'est donc pas l'ouvrage de celui qui veut , ni de celui qui court , mais de Dieu qui fait miséricorde." Thérèse de l'Enfant Jésus

dimanche 23 octobre 2011

La matérialisation de la vie intellectuelle et celle de la vie intérieure

Les défauts qui compromettent la vie d'étude , saint Thomas les a notés en traitant de la vertu de studiosité ou d'application à l'étude.
Cette vertu , dit-il ,est une vertu morale qui s'oppose à deux vertus contraires : à la curiosité ou désir immodéré de savoir , et à la paresse intellectuelle ou peur de l'effort intellectuel.

La curiosité nous porte à nous livrer immodérément à une étude inutile pour nous ou peu utile , au détriment d'une autre qui nous serait indispensable ; c'est ainsi que certains humanistes en vinrent à préférer à l'Evangile , les poètes grecs et latins les plus légers.
Elle nous porte aussi à étudier avidement tout ce qui s'offre à nous dans le monde sensible , dans les créatures , en nous faisant délaisser la connaissance de Dieu.
Elle nous incline à vouloir résoudre des problèmes qui dépassent les forces de notre esprit; elle conduit même quelquefois à chercher la connaissance des choses occultes par des moyens illicites et superstitieux.

Cette curiosité va souvent jusqu'au surmenage qui dessèche le coeur et ruine la piété.
Elle s'accompagne de vaine gloire , d'orgueil intellectuel , et rappelle le mot de saint Bernard : ils recherchent la science non par amour de la vérité , mais pour être connus et applaudis.

Lorsqu'elle est satisfaite ou lorsque les mécomptes se font sentir , une certaine lassitude se produit , d'où la paresse intellectuelle , qui invite à suivre le courant , alors qu'il faudrait peut-être le remonter , et à se contenter de végéter dans la médiocrité où il n'y a plus vraiment de vie intellectuelle.
C'est l'histoire de combien d'intelligences , séduites d'abord par une fausse élévation bientôt suivie de déchéance: quelques années de surmenage en vue d'une licence et d'un doctorat , puis peu à peu la routine et l'inertie.
La vertu , appelée par saint Thomas studiositas , a précisément pour but de remédier à ces deux défauts contraires qui généralement se suivent.

Ces défauts sont , à certains égards , plus saillants à notre époque .Une lourde curiosité , préférant le secondaire au principal , la créature au Créateur , le corps à l'esprit , a conduit beaucoup d'intelligences à une spécialisation toute matérielle: et souvent la paresse fait qu'ensuite on s'isole dans sa spécialité , en se contentant sur le reste de vagues généralités qui dépassent peu la mentalité des primaires.

De même que , dans une fabrique de chaussures , il n'y a guère plus d'ouvriers sachant faire toute une bottine , mais seulement une semelle ou une tige , ainsi l'on trouve des physiciens qui ne savent guère plus qu'une minime partie de leur science et ne peuvent plus l'éclairer par rapport aux autres ; il y a de soi-disant philosophes si bien spécialisés en psychologie qu'ils n'ont plus aucune idée de la philosophie première ou métaphysique.
On trouve des biblistes très versés dans l'assyriologie , qui paraissent avoir oublié certaines des thèses les plus fondamentales de la dogmatique.
Il y a des casuites qui semblent avoir à peine feuilleté les questions de la Somme Théologique relatives aux actes humains: des spécialistes de la mystique qui étudient en détail les grâces d'oraison , sans jamais avoir approfondi le traité de la grâce , la distinction de la grâce sanctifiante et des grâces gratis datae ; ou celle des vertus infuses et des dons de l'Esprit Saint.
Devant cette spécialisation à outrance devenus une matérialisation , le théologien se fait parfois le reporter de ce qui ce dit dans les différentes sciences qui touchent la sienne , et dans la sienne même il parait quelquefois avoir perdu la faculté de juger .
On en arrive ainsi peu à peu à la science au kilo , où les matériaux accumulés sans ordre ont étouffé la vie de l'esprit.

Cette matérialisation de la science peut aller très loin , et comme il faut malgré tout une certaine unité du savoir , si on ne la cherche plus en haut , on la cherche en bas.
Au lieu d'expliquer les phénomènes par la subordination des causes , sous la dépendance de la Cause première , on essaie de les expliquer par une prétendue subordination des lois expérimentales particulières aux lois les plus générales , c'est-à-dire à celles communes à l'homme , à l'animal , à la plante , à la pierre , à celles de la matière et de l'énergie physique , à la place de Dieu on se contente du principe de la conservation de l'énergie , comme si de lui pouvaient progressivement sortir la vie végétative , sensitive , intellectuelle , morale et religieuse , c'est le mystère absurde du plus sortant du moins .

Une telle matérialisation de la science est évidemment la mort de l'intelligence , l'arrêt de toute vie intellectuelle.
Elle est d'autant plus dangereuse qu'elle s'attaque aux formes les plus hautes de la vie de l'esprit.

Père Garrigou-Lagrange

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