L'amitié est un don...L'amitié se nourrit de rencontres, de silences, de paroles échangées. Elle permet à chacun d'avancer vers sa propre vérité
«Parce que c'était lui, parce que c'était moi. » À propos d'amitié, nul n'a grand-peine à trouver sa référence. Souvent d'ailleurs, seule est retenue cette phrase de Michel de Montaigne, évoquant l'amitié (la « sainte couture ») qui l'unit à Étienne de La Boétie. Tirée du chapitre « De l'amitié » des Essais de Montaigne, elle vaut pourtant d'être amenée : «Ce que nous appelons ordinairement amis et amitiés, ce ne sont qu'accointance et familiarités. (...) En l'amitié de quoi se parle, (nos âmes) se mêlent et se confondent l'une en l'autre, d'un mélange si universel qu'elles effacent la couture qui les a jointes. Si on me presse de dire pourquoi je l'aimais, je sens que cela ne se peut exprimer qu'en répondant : parce que c'était lui. Parce que c'était moi.»
Quelques autres pages disent la force que peut prendre l'amitié entre deux êtres. Par exemple, la correspondance entre Jacques Rivière, pionnier de la NRF, qui a publié les plus grands noms de son temps (Claudel, Gide, Marcel Proust, François Mauriac, Paul Valéry, Saint-John Perse, Jean Giraudoux, Jules Romains) et Alain-Fournier (l'auteur du Grand Meaulnes). Ou celle, également publiée chez Gallimard, entre Gustave Roud et Philippe Jaccottet : deux poètes originaires de la Suisse romande, dont la relation commence en 1942 et se termine en 1976, et qui illustre aussi cette concordance.
Il n'y est question ni de l'occupation allemande, ni de l'entrée des chars soviétiques dans Budapest, ni de la guerre d'Algérie, ni de mai 1968. Les deux épistoliers n'évoquent pas davantage leur vie privée, intime. Ils s'écrivent comme « des camarades de chantier », se demandant comment traduire telle élégie de Rilke, telle strophe d'Emily Dickinson. Ils s'envoient des brouillons de poèmes, des lignes inutiles, « les seules qui comptent ». Ils partagent les mêmes regrets que la beauté du monde soit si fugace qu'on ne puisse jamais la tenir, « comme un objet familier dans la main ». Bref, ils sont à l'unisson, dans le silence de la contemplation...Mille nuances dans l'amitiéAmis d'enfance, puis de jeunesse, voisins et connaissances devenus peu à peu, peu ou prou, des amis, confrères ou consœurs d'études ou de travail, compagnons de sorties, de stade, ou d'engagements, amitiés de vacances qui durent, amis des premiers temps de la vie de couple. Il y a mille nuances dans l'amitié, mille harmoniques, selon les saisons de la vie. Au sens le plus élevé, celui dont parle Aristote dans l'Éthique à Nicomaque, l'amitié se réjouit de façon désintéressée de l'existence de l'autre, parce que cet autre est tel qu'il est.
L'ami ne désire que le bonheur de l'ami et son libre épanouissement, sans considération égoïste pour lui-même. Mais quelle que soit sa musique particulière, l'amitié est d'abord une réalité humaine, l'une des plus essentielles et des plus fortes qu'il soit donné de vivre. Une pause dans les combats de la vie, un temps de gratuité, de repos. Au creux de la douleur, ne pas avoir d'ami est l'une des plus grandes détresses qui soit.
De quels échanges, de quelles rencontres peut surgir l'amitié ? « Toute amitié naît d'une élection, explique Marie Thérèse Abgrall, de la communauté apostolique Saint-François-Xavier. Deux personnes se reconnaissent et se font mutuellement foi. » Mais, précise-t-elle aussitôt, « cette élection réciproque ne saurait être enfermement dans une relation privilégiée et exclusive, sous peine de se détruire. Si l'amitié est “le trésor de la vie”, sa saveur n'est pas de l'ordre de la jouissance dont parle saint Augustin au début des Confessions : “J'aimais à aimer.” Elle est joie pure de l'accueil de l'autre, non en ce qu'il va m'apporter, mais en ce qu'il est. »Renard et Petit PrinceDès lors, l'amitié peut naître entre le renard et le Petit Prince, qui n'ont a priori rien en commun, dépasser les barrières de l'âge ou du sexe, des cultures ou des religions. À condition que, pour le rejoindre, l'ami accepte d'apprivoiser ce qui en l'autre lui est étranger, sans nier ni gommer cette étrangeté, ni se renier lui-même. À condition aussi que l'amitié se donne du temps. Comme dit Montaigne : « Il faut tant de rencontres pour la bâtir. »
Fondée avant tout sur la parole, l'amitié se nourrit du dialogue qui lui-même repose sur la confiance donnée et reçue. Mieux, l'amitié habite le dialogue. Maurice Bellet lui donne trois visages : la présence, l'hospitalité, l'écoute. « Les trois en un », précise-t-il.
Quels sont les fruits de l'amitié ? D'abord et avant tout, la joie d'une présence. La découverte d'une harmonie, d'une concorde, d'une « convenance des volontés », selon l'expression de Montaigne. Mais plus encore, l'amitié rend justice, reconnaît l'autre comme unique, éveille et révèle en lui une dimension qu'il ne connaissait pas.Elle prend patience« Les amis s'ouvrent par leur présence des champs inconnus d'expérience et de réflexion qui peuvent mener à des remises en cause, à des transformations du regard », constate Marie-Thérèse Abgrall. Ainsi, au fil du temps, des rencontres, des paroles échangées, des repas et des découvertes partagés, des services rendus, des marches en commun... se construit une histoire commune. Certains vont jusqu'à inclure, dans cette histoire commune, les compagnons du temps passé qui continuent de les instruire ou de leur apporter cette divine douceur dont parle Maurice Bellet, « qui ne sait même pas qu'elle se donne ».
Pour résumer, conclut Marie-Thérèse Abgrall, on pourrait dire de l'amitié ce que saint Paul disait de la charité : elle prend patience, elle rend service, elle ne cherche pas son intérêt, elle se réjouit de ce qui est bien. Elle fait confiance en tout, crédit à travers tout, c'est dans l'épreuve qu'on la reconnaît. Elle ne juge pas, mais n'a pas peur d'une parole de vérité. Elle ne s'impose pas, mais garde mesure et tact en tout.
Elle sait taire ce qui ne doit pas être clamé sur les toits et dire ce qui doit être dit. Elle est discrète et jamais importune. Elle ne prend ombrage de rien, ne jalouse pas, ne se compare pas, ne soupçonne pas. Elle ne se laisse pas surprendre et étonner, n'a rien de clos ni de figé une fois pour toutes. Elle sait garder mémoire des bienfaits et laisser la porte ouverte aux pardons.Quand une telle amitié existe, elle parle de Dieu. « Je ne vous appelle plus serviteurs, car le serviteur ne sait pas ce que fait son maître. Mais je vous appelle amis, parce que tout ce que j'ai entendu de mon père, je vous l'ai fait connaître» (Jean 15, 15). Par ces mots, prononcés à l'heure même de la trahison de Judas, Dieu enseigne ce qu'est en vérité l'amitié : un don gratuit.
Martine de SAUTO
«Parce que c'était lui, parce que c'était moi. » À propos d'amitié, nul n'a grand-peine à trouver sa référence. Souvent d'ailleurs, seule est retenue cette phrase de Michel de Montaigne, évoquant l'amitié (la « sainte couture ») qui l'unit à Étienne de La Boétie. Tirée du chapitre « De l'amitié » des Essais de Montaigne, elle vaut pourtant d'être amenée : «Ce que nous appelons ordinairement amis et amitiés, ce ne sont qu'accointance et familiarités. (...) En l'amitié de quoi se parle, (nos âmes) se mêlent et se confondent l'une en l'autre, d'un mélange si universel qu'elles effacent la couture qui les a jointes. Si on me presse de dire pourquoi je l'aimais, je sens que cela ne se peut exprimer qu'en répondant : parce que c'était lui. Parce que c'était moi.»
Quelques autres pages disent la force que peut prendre l'amitié entre deux êtres. Par exemple, la correspondance entre Jacques Rivière, pionnier de la NRF, qui a publié les plus grands noms de son temps (Claudel, Gide, Marcel Proust, François Mauriac, Paul Valéry, Saint-John Perse, Jean Giraudoux, Jules Romains) et Alain-Fournier (l'auteur du Grand Meaulnes). Ou celle, également publiée chez Gallimard, entre Gustave Roud et Philippe Jaccottet : deux poètes originaires de la Suisse romande, dont la relation commence en 1942 et se termine en 1976, et qui illustre aussi cette concordance.
Il n'y est question ni de l'occupation allemande, ni de l'entrée des chars soviétiques dans Budapest, ni de la guerre d'Algérie, ni de mai 1968. Les deux épistoliers n'évoquent pas davantage leur vie privée, intime. Ils s'écrivent comme « des camarades de chantier », se demandant comment traduire telle élégie de Rilke, telle strophe d'Emily Dickinson. Ils s'envoient des brouillons de poèmes, des lignes inutiles, « les seules qui comptent ». Ils partagent les mêmes regrets que la beauté du monde soit si fugace qu'on ne puisse jamais la tenir, « comme un objet familier dans la main ». Bref, ils sont à l'unisson, dans le silence de la contemplation...Mille nuances dans l'amitiéAmis d'enfance, puis de jeunesse, voisins et connaissances devenus peu à peu, peu ou prou, des amis, confrères ou consœurs d'études ou de travail, compagnons de sorties, de stade, ou d'engagements, amitiés de vacances qui durent, amis des premiers temps de la vie de couple. Il y a mille nuances dans l'amitié, mille harmoniques, selon les saisons de la vie. Au sens le plus élevé, celui dont parle Aristote dans l'Éthique à Nicomaque, l'amitié se réjouit de façon désintéressée de l'existence de l'autre, parce que cet autre est tel qu'il est.
L'ami ne désire que le bonheur de l'ami et son libre épanouissement, sans considération égoïste pour lui-même. Mais quelle que soit sa musique particulière, l'amitié est d'abord une réalité humaine, l'une des plus essentielles et des plus fortes qu'il soit donné de vivre. Une pause dans les combats de la vie, un temps de gratuité, de repos. Au creux de la douleur, ne pas avoir d'ami est l'une des plus grandes détresses qui soit.
De quels échanges, de quelles rencontres peut surgir l'amitié ? « Toute amitié naît d'une élection, explique Marie Thérèse Abgrall, de la communauté apostolique Saint-François-Xavier. Deux personnes se reconnaissent et se font mutuellement foi. » Mais, précise-t-elle aussitôt, « cette élection réciproque ne saurait être enfermement dans une relation privilégiée et exclusive, sous peine de se détruire. Si l'amitié est “le trésor de la vie”, sa saveur n'est pas de l'ordre de la jouissance dont parle saint Augustin au début des Confessions : “J'aimais à aimer.” Elle est joie pure de l'accueil de l'autre, non en ce qu'il va m'apporter, mais en ce qu'il est. »Renard et Petit PrinceDès lors, l'amitié peut naître entre le renard et le Petit Prince, qui n'ont a priori rien en commun, dépasser les barrières de l'âge ou du sexe, des cultures ou des religions. À condition que, pour le rejoindre, l'ami accepte d'apprivoiser ce qui en l'autre lui est étranger, sans nier ni gommer cette étrangeté, ni se renier lui-même. À condition aussi que l'amitié se donne du temps. Comme dit Montaigne : « Il faut tant de rencontres pour la bâtir. »
Fondée avant tout sur la parole, l'amitié se nourrit du dialogue qui lui-même repose sur la confiance donnée et reçue. Mieux, l'amitié habite le dialogue. Maurice Bellet lui donne trois visages : la présence, l'hospitalité, l'écoute. « Les trois en un », précise-t-il.
Quels sont les fruits de l'amitié ? D'abord et avant tout, la joie d'une présence. La découverte d'une harmonie, d'une concorde, d'une « convenance des volontés », selon l'expression de Montaigne. Mais plus encore, l'amitié rend justice, reconnaît l'autre comme unique, éveille et révèle en lui une dimension qu'il ne connaissait pas.Elle prend patience« Les amis s'ouvrent par leur présence des champs inconnus d'expérience et de réflexion qui peuvent mener à des remises en cause, à des transformations du regard », constate Marie-Thérèse Abgrall. Ainsi, au fil du temps, des rencontres, des paroles échangées, des repas et des découvertes partagés, des services rendus, des marches en commun... se construit une histoire commune. Certains vont jusqu'à inclure, dans cette histoire commune, les compagnons du temps passé qui continuent de les instruire ou de leur apporter cette divine douceur dont parle Maurice Bellet, « qui ne sait même pas qu'elle se donne ».
Pour résumer, conclut Marie-Thérèse Abgrall, on pourrait dire de l'amitié ce que saint Paul disait de la charité : elle prend patience, elle rend service, elle ne cherche pas son intérêt, elle se réjouit de ce qui est bien. Elle fait confiance en tout, crédit à travers tout, c'est dans l'épreuve qu'on la reconnaît. Elle ne juge pas, mais n'a pas peur d'une parole de vérité. Elle ne s'impose pas, mais garde mesure et tact en tout.
Elle sait taire ce qui ne doit pas être clamé sur les toits et dire ce qui doit être dit. Elle est discrète et jamais importune. Elle ne prend ombrage de rien, ne jalouse pas, ne se compare pas, ne soupçonne pas. Elle ne se laisse pas surprendre et étonner, n'a rien de clos ni de figé une fois pour toutes. Elle sait garder mémoire des bienfaits et laisser la porte ouverte aux pardons.Quand une telle amitié existe, elle parle de Dieu. « Je ne vous appelle plus serviteurs, car le serviteur ne sait pas ce que fait son maître. Mais je vous appelle amis, parce que tout ce que j'ai entendu de mon père, je vous l'ai fait connaître» (Jean 15, 15). Par ces mots, prononcés à l'heure même de la trahison de Judas, Dieu enseigne ce qu'est en vérité l'amitié : un don gratuit.
Martine de SAUTO
1 commentaire:
c est tres jolie cela car l amitier est la pour nous reconforter et tout se qui sans suis je suis desolee de mettre en annyme mais voila c est comme cela
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