Dieu
Cette pauvreté de Dieu, ce grésillement de la lumière dans la lumière ,
ce murmure du silence au silence , c'est à ça qu'il parle ,
François d'Assise , quand il parle aux oiseaux
ou à Claire , la petite soeur d'insouciance.
Il est amoureux.
Quand on est amoureux ,
on parle à son amour et on ne parle qu'à lui seul .
Partout , toujours .
Et , que dit-on à son amour ?
On lui dit qu'on l'aime ,
ce qui n'est presque rien dire - sinon le presque rien d'un sourire ,
le balbutiement d'un serviteur à son maître qui le comble ,
qui le comble mille fois trop.
On a empaqueté quelques-unes de ses paroles dans un livre maigre ,
un livre de pauvre .
Des lettres sans beauté , des prières sans grâce ,
usées comme une chemise de pauvre trop souvent lavée , trop souvent ravaudée .
Des collages empruntés à la Bible .
Ici un morceau de psaume , là un autre morceau ,
ça tiendra bien comme ça ,
ça ira pour ce qu'on veut en faire : prier ,
parler au vide pour que le vide nettoie votre parole .
Je T'aime.
Cette parole , quand elle file vers Dieu ,
est comme une flèche enflammée qui s'enfonce dans la nuit ,
et s'éteint avant de toucher la cible .
Je T'aime : voilà tout son propos ,
et cela ne pouvait donner un livre original , un livre d'écrivain .
L'amour n'est rien d'original .
L'amour n'est pas une invention d'auteur.
Il est avec son amour comme l'enfant devant le mur avec sa balle : il lance sa parole , la balle de parole lumineuse , le " je T'aime " enroulé sur lui-même , il la lance contre le mur éloigné de lui de tous les jours qu'il lui reste à vivre , il attend ensuite que la balle rebondisse , il lance des milliers de balles , aucune ne revient jamais , il continue , toujours souriant , confiant : le jeu est à lui-même sa récompense , l'amour est à lui-même sa réponse .
Si , quand même , il en dit un peu plus .
Il dit : je T'aime et je suis désolé de T'aimer si peu ,
de T'aimer si mal , de ne pas savoir T'aimer .
C'est que plus , il s'approche de la lumière ,
et plus il se découvre plein d'ombres .
Plus il aime et plus il se connaît indigne d'aimer .
C'est qu'il n'y a pas de progrès en amour ,
pas de perfection que l'on pourrait un jour atteindre.
Il n'y a pas d'amour adulte , mûr et raisonnable .
Il n'y a devant l'amour , aucun adulte ,
que des enfants que cet esprit d'enfance qui est abandon ,
insouciance , esprit de la perte d'esprit .
L'âge additionne .
L'expérience accumule .
La raison construit .
L'esprit d'enfance ne compte rien , n'entasse rien , ne bâtit rien.
L'esprit d'enfance est toujours neuf ,
repart toujours aux débuts du monde , aux premiers pas de l'amour .
L'homme de raison est un homme accumulé , entassé , construit .
L'homme d'enfance est le contraire d'un homme
additionné sur lui-même : un homme enlevé de soi ,
renaissant dans toute naissance de tout .
Un imbécile qui joue à la balle.
Ou un saint qui parle à son Dieu .Ou les deux à la fois.
Il y a quelque chose dans le monde qui résiste au monde , et cette chose ne se trouve ni dans les églises ni dans les cultures , ni dans la pensée que les hommes ont d'eux-mêmes dans la croyance mortifière qu'ils ont d'eux mêmes en tant qu'êtres sérieux , adultes , raisonnables , et cette chose , n'est pas une chose mais Dieu et Dieu ne peut tenir de rien sans aussitôt l'ébranler , le mettre bas , et Dieu immense ne sait tenir que dans les ritournelles d'enfance , dans le sang perdu des pauvres ou dans la voix des simples et tous ceux- là tiennent Dieu au creux de leurs mains ouvertes , un moineau trempé comme du pain par la pluie , un moineau transi , criard , un Dieu piailleur qui vient manger dans leurs mains nues .
Dieu , c'est ce que savent les enfants , pas les adultes ............
Le Très Bas
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