Aimer .
L'essentiel de la nouveauté chrétienne .
"Dieu est Amour , dit saint Jean .
Qui demeure dans l'amour demeure en Dieu et Dieu demeure en Lui ."
Saint Augustin pourra dire " Aime .Après cela , fais tout ce que tu veux !"
Ce mot si simple est présent partout , même là où il n'est pas prononcé .
Tous les autres mots et tous les autres verbes en sont secrètement affectés , directement ou indirectement , pour ou contre .
En même temps , il déborde tous les sens qu'on peut lui donner .
Entre " aimer " Dieu et " aimer " le chocolat , entre " aimer " un être cher et " aimer " un malheureux , que de nuances !
Entre les divers " amours " que de différences !
Et souvent que d'oppositions !
Aimer ne veut donc pas forcément dire " aimer " selon le Christ .
La traversée d'un discernement ...
Dès le début , pour dire " amour " saint Paul et les évangélistes , qui écrivent en grec , ne disposent que du mot " éros" .
Chose étonnante , ils évitent d'emblée ce mot comme s'il était impropre et impuissant à travers la radicale nouveauté .
Quitte à forger un mot nouveau pour exprimer la réalité nouvelle de l"amour" selon le Christ .
Et ce mot nouveau , ce mot converti , c'est " agapè ".
"Eros" est merveilleux . Il aime ce qui est aimable . Il aime davantage ce qui est plus aimable . Il aime ce qui est bien parce que c'est bien . Il aime le meilleur parce que c'est le meilleur .
"Agapè " , lui , aime là où n'est pas l'aimable . Il aime un être avant même qu'il soit digne d'amour . C'est ainsi qu'il aime le pécheur . Par là , justement , il le fait aimable ! Il crée la valeur en aimant ce qui est sans valeur .
"Eros " est motivé . Il est raisonnable . Il aime " pour" .Il aime " à cause de ". Sa main gauche voudrait bien savoir ce que donne sa main droite . Et il se souvient .
" Agapè" , par contre , aime par débordement de bonté . Sans calcul et sans mesure . Il jaillit gratuitement là où on ne l'attend pas . Il donne autant aux ouvriers de la dernière heure . Scandaleusement paradoxal . Comme la grâce !!
"Eros " est grand. Il est sublime . Il fuit la misère . Il a la phobie de l'impur . Il monte . Du bas vers le haut , de la matière vers l'esprit , du relatif vers l'absolu , du monde vers Dieu ....
"Agapè " , au contraire , descend . Il se compromet . Il se salit les mains . Par lui l'Absolu prend chair et vient habiter parmi les hommes . Il assume l'impur pour le sauver .
"Eros " est riche .Il est séduisant . Il est photogénique . Il est sortable . Ses forces sont mobilisables . Il est parti pour la gloire .
"Agapè" n'a que des haillons pour couvrir sa nudité . Il avance les mains vides , mendiant la miséricorde .
"Eros " est fort . Il est bien dans sa peau . Il a confiance en soi . Il a tout naturellement parti lié avec ce qui est puissant .
"Agapè" brûle de fièvre , malade de toutes les faiblesses du monde .
"Eros" veut construire la cité égalitaire . Il tire ses plans sur la planète . Il prévoit tout . Il "materne " tout . Il assure contre tout .
"Agapè " aime en face de soi des hommes qui n'ont pas peur de leur liberté .
"Eros" est heureux de convier le "même " au banquet du " même" . L'autre est invité à se dépouiller de sa différence.
"Agapè" aime l'autre comme " autre " . Il promeut l'autre en tant qu'autre . Il le fait exister pour ce qu'il est en lui-même . La différence le comble .
"Eros" est centripète . Il joue de façon concentrique autour de soi-même . Il tend conquérir son "vrai" moi et le consolider . Il tend à persister dans l'identité et la continuité de soi-même. Il insiste sur son immortalité .
"Agapè" est centrifuge . Il est excentrique à tous les sens du mot . Il n'a pas peur de perdre sa vie . Il est prêt à l'extrême rupture . Il sait mourir totalement pour ressusciter , autre , de façon radicalement nouvelle .
"Eros " est fier . Il s'arrange difficilement avec l'infidélité de l'autre . Le pardon lui semble impossible . Il peut seulement l'identifier avec l'oubli ou la mise entre parenthèses . Il ne peut l'envisager que comme un retour en arrière , à la situation d'avant la faute .
"Agapè" , au contraire , fait surgir le pardon en avant , dans le dépassement du péché , comme nouvelle situation , comme toute nouvelle alliance , comme radicale nouvelle création . Dans la rupture , " Agapè " a la divine hardiesse de proclamer que même le péché peut être grâce et de chanter scandaleusement : " heureuse faute qui nous a valu un tel Rédempteur".
Aime .
Tu possèdes alors en partage la surabondance .
La mesure de ton amour mesure ton enrichissement .
Et ta richesse , par mystérieuse solidarité de grâce ,
déborde de toi en t'enrichissant plus encore ,
pour enrichir le Corps tout entier .
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